•°•.•°• Bloody Heaven •°•.•°•

Will se sentait vidé après un tel effort. Une téléportation sur une si grande distance et sans laisser des organes traîner un peu partout sur le trajet avait demandé plus d'énergie qu'il l'aurait cru. Ils ne pouvaient décemment pas continuer dans cet état de faiblesse, aussi le jeune homme puisa-t-il encore dans leur environnement proche. Cependant, cette fois, le déficit énergétique était plus important et les vies de petits animaux n'auraient pas suffi à les recharger. Aussi un hêtre centenaire se flétrit-il lentement puis de plus en plus vite jusqu'à laisser un arbre mort, avec des feuilles flétries partout autour de lui. Will se sentit mieux.

- Alors, on fait quoi, on va où maintenant ?s'enquit Maxime.

- Vous ne trouvez pas que l'air est plus frais ici ? On doit être proche d'un point d'eau. Si on y allait ? proposa Daniel.

- Bonne idée, je meurs littéralement de soif !s'enthousiasma Will pour la première fois depuis qu'il avait quitté le château des années auparavant.

Il suivit ses deux compagnons et ils arrivèrent au bord d'un ruisseau dont les bords étaient couverts de mousse. L'eau y était limpide et les rochers se voyaient au fond. Will se pencha pour boire peu après Maxime.

Daniel put oublier toutes ses tourmentes, et profita de ce moment. Il remonta son pantalon jusqu'à ses genoux afin que son vêtement ne soit pas mouillé, et alla dans le ruisseau, après avoir bu.

- L'eau est parfaite !

Will se plongea dans l'eau.

Elle invoqua les forces archontales les plus puissantes : Elle venait de réveiller le chasseur. Un rugissement effrayant retentit dans toute la forêt. Les oiseaux s'envolèrent, les animaux se cachèrent. Même les arbres semblaient se recroqueviller sur eux-mêmes. Des loups hurlèrent dans toute la forêt. Le soleil se cacha derrière des nuages gris teinté de vert, d'un vert surnaturel.

Daniel entendit le rugissement et fut horrifié. Les nuages verts s'amoncelèrent ensuite. Il paniqua.

- Ça ne laisse rien présager de bon... Je suis sûr que c'est à cause de cette femme... Elle ne va pas nous lâcher ?!

Il se retourna vers Max, qui ne possédait aucun moyen de se défendre. Au dessus des mains du mage, une lumière rouge flamboyante s'alluma. Il la projeta vers son ami et elle rentra dans son corps.

- Ça t'aidera à te protéger.

Maxime se regarda les mains puis lança un regard interrogateur à Daniel. Il se sentait... différent. Cependant, il n'eut pas le temps de s'abîmer dans des pensées profondes : des yeux les observaient. Des centaines d'yeux, voire des milliers, des yeux féroces, affamés. Des loups étaient tout autour d'eux. Des loups sortirent de l'ombre et ne tardèrent pas à les entourer. Ils hurlèrent et des pas se firent entendre. Cependant, ces pas n'étaient pas humains ; la terre trembla. Will savait qu'ils devaient agir et vite. Aussi lança-t-il une rafale de vent dans la barrière de loups, là où les animaux avaient l'air les plus maigres, les plus faibles. Les bêtes furent écartées et Will s'engouffra dans la brèche. Maxime le suivit. Ils coururent.

Daniel emboîta le pas de ses compagnons et dressa derrière lui une rempart de flammes, séparant ainsi les deux camps, pour plus de sécurité.

- Par où on va ?

Will courait toujours et encore. Cependant, les flammes n'avaient pas stoppé tous les loups et une centaine d'entre eux les avait pris en chasse. Le jeune homme se retourna et invoqua une rafale de vent qui tua net une petite douzaine de leurs poursuivants. Il en restait cependant trop. Maxime courait en tête de leur groupe. Will sentait que ses jambes lui brûlaient, mais il ne pouvait décemment pas s'arrêter. Soudain, une sphère d'énergie noirâtre passa à quelques centimètres du visage de Will pour venir s'écraser sur le tronc puissant d'un hêtre centenaire. Le jeune homme s'arrêta net. Devant eux se tenaient un escadron d'une vingtaine de mages aux longues capes noires, les mêmes qui les avaient agressé dans la forêt plus tôt dans la journée. Les bêtes se rapprochaient derrière eux et d'autres arrivaient sur leur droite. Trop d'adversaires qu'ils ne pouvaient bien évidemment pas combattre tous en même temps. Aussi Maxime cria-t-il :

- A gauche, vite ! Il faut créer une diversion !

Daniel rassembla toute sa force dans un rayon d'énergie d'une puissance dévastatrice, s'écrasant et traversant le sol. La terre craquela puis se fendit sous les pieds de tout le monde. Les éclats de roche volèrent. Le ciel et le décor disparurent, tout devint rouge sang. Chaque camp était sur une plateforme différente. Une véritable vision apocalyptique qui changea mystérieusement. Les éclats revinrent à leur place, les fissures sur le sol s'effacèrent complètement. Le ciel fut de nouveau bleu et le paysage se redessina. Tout redevint comme avant... à la différence près que William, Maxime et Daniel s'étaient volatilisés.

Plus loin, les frères et leur ami couraient. Daniel était exténué.

- Quelle illusion ! s'extasia Maxime.

Will regarda son frère et esquissa un sourire.

- Pas mal...

Des hurlements retentissaient déjà au loin. Le soleil déclinait à l'horizon, rosissant les nuages et déposant un orange chaud sur les ramures des arbres puissants. Soudain, alors qu'il croyait les avoir semés, les loups surgirent juste devant eux, leur coupant totalement le passage. Leurs crocs jaunes dégoulinaient de bave. Cernés, encore une fois. L'un d'eux se jeta sur Maxime.

La peur s'empara de Maxime, complètement désarmé face à l'assaut du loup. Alors qu'il pensait qu'il allait mourir, une lumière rouge flamboyante s'alluma sur son torse, illuminant tout son corps. Daniel sourit. Des remparts de cristaux d'une beauté époustouflante, d'une couleur vive comme les rubis, embellis par les reflets des rayons du soleil, se dressèrent autour de lui. Le loup s'écrasa la tête la première contre ce magnifique bouclier, toujours intact malgré le choc violent, qui en revanche tua la bête. Maxime fut soulagé et regarda Daniel.

Les loups arrivaient toujours et encore autour des trois compagnons. Cependant, malgré la crainte qu'inspirait leur présence à Will, il ne put s'empêcher d'admirer l'enchantement mis en place par son frère. C'était brillant. Les loups attaquaient sans cesse la construction cristalline et mourait en nombre. Cependant, l'enchantement ne pouvait pas durer éternellement et les les cristaux commencèrent à se fissurer puis à s'effriter pour se briser quelques cadavres plus tard. Une cinquante de bêtes avaient dû périr dans l'assaut. Un canidé plus téméraire que les autres profita de la fin du sortilège pour attaquer Maxime et prendre sa gorge entre ses puissantes mâchoires.

- On fait quoi ? Si on utilise la magie, c'est risqué vu notre état de fatigue et quand bien même, on risque de toucher Max'...

L'illusion qu'il avait créée lui avait en effet vidé de ses pouvoirs. Du moins, la plupart car le peu qu'il restait avait été consommé par la protection de Max', qui puisait dans ses réserves.

- J'ai bien une idée, mais Max' ne sera plus protégé après ça, il faudra donc prendre la poudre d'escampette.

La fameuse lumière rouge, qui avait protégé Max', sortit de son corps et rentra dans celui de la bête. Cette fois-ci cependant, elle n'eut pas les mêmes vertus. Au contraire, elle attaqua l'animal de l'intérieur, brûlant tous ses organes. Le loup desserra son étreinte jusqu'à lâcher sa proie. Le canidé tomba à terre. Il ne restait plus que de lui une carcasse vide. Daniel prit son ami par le bras et s'enfuit, suivis par Will.

- Si on se fait prendre encore une fois, on sera fichus.

- Bien joué ! Maintenant, on court, conclut Will, à bout de souffle.

Les trois garçons n'avaient rien avalé depuis le début de la journée et ils ne cessaient de fuir. La fatigue se faisait cruellement sentir et au bout d'un quart d'heure de course effrénée, Maxime trébucha sur une traîtresse racine et s'affala sur le sol. Les loups n'étaient pas encore arrivés, aussi Will aida-t-il son compagnon de voyage à se relever. Cependant, c'était sans compter les mages encapuchonnés qui surgirent de nulle part, visiblement en colère, malgré que leur visage ne soit pas visible. Le jeune homme savait éperdument qu'ils ne pourraient pas lutter. C'était la fin. Tous leurs efforts avaient donc été vains. Will regarda Daniel. Alors qu'il s'attendait à ce que les mages les tuent, Maxime et lui, une cascade d'eau aux magnifiques reflets violets se déversa sur les mages noirs. Dans le même temps, le sol se craquela, puis se fissura et les trois jeunes hommes tombèrent. Leur chute dura une éternité selon Will, stupéfait de s'en être encore sorti. Mais ce qui les attendait était encore plus surprenant : lorsque leur descente prit fin, ils se retrouvèrent assis sur un canapé aux motifs violets magnifiques. Alors que Will se tournait vers ses compagnons, il reçut une paire de gifles bien assénée. Ses joues devaient être rouges à présent car elles lui brûlaient. Le jeune homme vit que son frère subissait le même traitement.

- Mais quels empotés ! C'est pas possible d'être aussi stupide quand même ! Le Chasseur et les mages noirs... Heureusement que je suis là...conclut la femme qui se tenait devant eux.

Elle était petite et portait des cheveux gris noués en un élégant chignon lâche au-dessus de son front ridé. Des petites lunettes en demi-lune étaient posées devant ses petits yeux bleus, du même bleu que ceux de Daniel, nota intétieurement Will.

On raconte que lorsqu'on est face à la mort, on voit sa vie défilée sous ses yeux. Daniel n'avait jamais compris ça mais il en fit l'expérience devant les mages noirs. Un flot de sentiments et d'émotions le submergea, mais tout se stoppa subitement quand il remarqua la splendide cascade. Tout n'était donc pas perdu ? Une intervention, comme divine, leur permit de s'en sortir. Il n'en revint toujours pas. Il crut même rêver, mais les gifles le ramenèrent vite à la réalité. Il se tourna ensuite vers ses compagnons et leur sourit.

- Ah-ah, c'est incroyable ! s'exclama-t-il, en prenant son frère et son ami dans ses bras. On est VIVANTS !

Il regarda le décor. Cette femme vivait incontestablement dans un certain luxe. Les meubles et les décorations étaient somptueux. Ça changeait de cette étendu interminable d'arbres. Ses yeux s'arrêtèrent ensuite sur la femme qu'il dévisagea.

- Je suppose que c'est grâce à vous ! Merci énormément !

Bien qu'il semblait reconnaissant, il se méfia tout de même de cette inconnue. Quelles étaient ses intentions, ses desseins ? Serait-elle une alliée ou une redoutable ennemie ?

- Ne me vouvoie pas Daniel, je te prie. Et je sais ce que tu penses, non, je ne suis pas une redoutable ennemi. Enfin si, mais pas la tienne. Garnements va. J'vous gardais quand vous étiez tout p'tiots. J'm'en souviens encore de c'te époque. Vous avez mauvaise miiiiine... Prenez des cookies et du nectar, ça vous fera du bien mes pauv' garçonnets va... Après, faudra que vous preniez une douche. Et j'vous ferai visiter. Pourquoi y vous poursuiv' ces gens-là ?demanda la vieille femme avec un terrible accent campagnard.

- Campagnard ? Mais j't'en foutrai du campagnard moi, non mais...s'indigna-t-elle.

Bon, apparemment, elle lisait dans leur pensée comme dans de l'eau de roche. Mauvais pour eux ça. Mais elle n'avait pas l'air mauvaise après tout. Elle claqua des doigts et une chaise vint se matérialiser sous elle au moment où elle faisait mine de s'asseoir. Elle fronça les sourcils et la chaise de bois se métamorphosa en un fauteuil magnifique en velours dont les accoudoirs étaient brodés de fils d'or.

- C'est mieux comme ça,marmonna-t-elle en s'enfonçant bien confortablement dans le rembourrage du siège.

Nouveau claquement de doigts. Un plateau portant des biscuits et un breuvage doré se matérialisa devant eux et lévita avant qu'un guéridon de satin se précipite en dessous après un énième claquement de doigts.

- La salle de bain se trouve derrière la quatrième porte sur votre gauche. Je vous laisse manger tranquillement. Si vous avez b'soin de quelque chose, appelez-moi, je vous entendrai. Bon appétit les enfants.

En un bruissement de sa robe violette, la femme se volatilisa purement et simplement. Will regarda ses deux compagnons avec stupéfaction.

Daniel et Maxime furent tout aussi stupéfaits par le "spectacle" auquel ils venaient d'assister. Cette femme était... déjantée ? Atypique ? Dans tous les cas, elle avait l'air d'être de leur côté. C'est d'ailleurs tout naturellement qu'il commença à s’empiffrer. Il avait le ventre vide depuis un bout de temps ! Ce repas ne pouvait leur faire que du bien ! Il regarda son frère et son ami. Il avait déjà plein de chocolat autour de la bouche.

- Qu'est-ce que vous attendez ? leur demanda-t-il en souriant. C'est DE-LI-CIEUX !

Maxime rit en voyant le visage de son ami, puis décida de goûter. Il fut complètement conquis par les cookies. Ces derniers étaient exquis. Chaque bouchée était un plaisir pour les palais, et leur remontait le moral !

Will se laissa tenter aussi. C'est vrai que les cookies étaient absolument divins. Cependant, une question le taraudait : qui était la femme ? Il fit part de ses questionnements à ses deux compagnons d'infortune. Une bouche apparut alors sur le mur. Une grande bouche aux lèvres charnues.

- Déjanté toi-même... Non mais...

La bouche disparut aussi vite qu'elle était apparue. Cette habitation était pour le moins surprenante. Il émanait en effet de chaque chose et plus encore de cette femme une impression de puissante, qui n'était sûrement pas qu'une impression. Il semblait à Will qu'elle aurait pu tout aussi bien les réduire à de vulgaires atomes en un de ses fameux claquements de doigts. Le jeune homme se leva dans la direction indiquée par la femme afin de trouver la salle de bain : le mur ne présentait aucune porte. Cela était étrange. Alors qu'il allait revenir sur ses pas, une porte bleu pervenche se dessina sur le mur de gauche et s'ouvrit. Will y entra : un bain était déjà prêt avec des serviettes et tout le nécessaire. Il ferma la porte se dévêtit et se plongea avec délice dans le bain chaud.

Daniel rit suite à l'apparition de la bouche sur dimensionnée, sous le regard ahuri de Maxime. Cet endroit était étonnant et fantastique. Ils en oublièrent tout leur malheur. Ils continuaient à savourer le repas, que Daniel conclut avec un grand verre de nectar. Il s'avachit ensuite sur le canapé.

- Ça fait longtemps que je n'ai pas aussi bien mangé ! s'enthousiasma Daniel, approuvé par Maxime.

Il attendit que son frère finisse de se baigner et profita de ce temps pour réfléchir. Il ne put s'empêcher de se poser des questions sur cette mystérieuse femme.

- Tu ne te souviens vraiment pas d'elle ? interrogea Maxime, intrigué.

- Non, pas du tout. On devait être vraiment petits... répondit Daniel.

- En tout cas, avec une telle personne, vous aviez dû être très heureux !

Will sortit de son bain et voulut prendre ses vêtements pour se rhabiller. Cependant les fripes avec lesquelles il se vêtait d'habitude avaient été remplacées par des vêtements neufs : pantalon de toile noire et une chemise de coton blanche.

- Oui, je sais, vous m'adorez, moi aussi je m'adore, déclara la bouche subitement apparue sur le mur.

Il profita de la présence de cette bouche pour lui poser quelques questions.

- Où on est exactement ? demanda Daniel.

- Nous sommes au coeur de la forêt du Silence, benêt... A exactement cent quatre-vingt autre virgule mille deux cent trente-quatre mètres. Sous l'arbre Mishna, l'arbre protecteur, le puissant elfe, répliqua la bouche avec un ton solennel qui se voulait magistral.

Will se dit que la vieille femme devait s'ennuyer toute seule dans cette grande demeure. Que faisait-elle de son temps ? Le jeune homme était tout à ses questionnements lorsqu'une vibration secoua les trois jeunes hommes. La vieille femme reparut, visiblement contrariée.

- On est attaqué ! Bougez-vous, bande de larves !

Plusieurs interrogations lui brûlèrent les lèvres, mais il n'eut cependant pas l'occasion de les poser. Une... attaque ? Étaient-ce les mages noirs ? Il se retourna vers son frère. Il pensa qu'ils n'en feraient qu'une bouchée. Après tout, ils avaient pu récupérer leurs pouvoirs, et n'étaient plus fatigués. De plus, cette étrange femme était avec eux. Il ne se fit pas de soucis.

- Par où on passe ?

Will se sentit soudain faiblir. Il tomba à terre. Un froid glacial se répondit dans tous ses membres puis dans son corps entier : on pompait dans ses réserves d'énergie. Il se rendit compte que ses deux compagnons étaient dans le même état. Un éclair de pensée leur arriva, éphémère pensée de la vieille femme :

- C'est moi qui puise dans vos réserves pour repousser l'attaque. Encore quelques minutes.